TEMOIGNAGE DE GERARD ROLLE

Gérard Rolle
1066, rue De Toulouse-Lautrec
45470 LOURY

02 38 65 59 29
06 07 23 10 57

Cher ami,

Bravo pour tout le travail que tu as effectué pour construire ce site. En le parcourant rapidement, j’avoue avoir été « piqué » par une certaine nostalgie : certains souvenirs que je croyais oubliés ont ressurgi. J’ai été très peiné de connaître le décès de nos officiers, bien que ce soit dans l’ordre des choses, notamment KERIVEL, pour qui j’avais une très haute estime. Cet homme était profondément humain, et juste. Je l’aurais suivi au bout du monde.

Il a eu son heure de gloire justement méritée : je crois qu’il a été décoré, en tout cas il avait fait la « Une » des média après avoir sauvé un cargo et son équipage du naufrage. Il venait de prendre le commandement d’un remorqueur de haute mer, et avec son équipage, avait réussi l’impossible, dans une mer démontée. Je suis sûr qu’il est au paradis des marins (s’il existe).
J’avais eu la surprise et la joie de le rencontrer, après cet épisode, à Marseille, alors qu’avec celle qui allait devenir mon épouse nous buvions un verre, attablés à une terrasse de café, en bas de la gare Saint-Charles : je venais d’être libéré, nous allions nous marier et partir pour Abidjan, mais c’est une autre histoire... Je l’aperçois (huit mois après avoir quitté le bateau) au milieu de la foule des passants, silhouette reconnaissable entre toutes, je n’en crois pas mes yeux : je l’apostrophe, et nous voilà buvant un verre ensemble, me répondant avec une très grande modestie alors que je le félicitais. Il revenait d’une convocation de l’Amirauté, ou autre autorité suite à ce fait héroïque.
Il avait fait lui aussi de la boxe dans sa jeunesse : comme avec Samuel BOULEMWO, (le Noir sur les photos) j’en faisais aussi - nous faisions parti du club de boxe de l’USAM, (Union Sportive Arsenal Marine) - une certaine sympathie s’était installée entre nous, malgré la distance qu’imposait notre différence de statut : j’étais quartier-maître chef, et lui devait être, à l’époque trois gallons ! De mes cinq années de marine, je n’ai jamais rencontré un officier aussi près de ses hommes. Il n’appliquait pas toujours le dicton : Jugulaire, Jugulaire (qui, si tu te rappelles, voulait dire : Règlement, Règlement). Les explications se passaient entre quatre yeux ! Tout le monde le respectait, et j’irais jusqu'à dire que beaucoup l’aimaient.


Quelques réflexions :
C’est vrai que nous étions sur un bateau, mais un pétrolier, c’est spécial.
Comme tu le dis, le métal ferreux était proscrit à bord. On nous enlevait nos chaussures à l’arrivée, pour en retirer toutes les pointes et fers ainsi que les embouts métalliques des lacets. Nos outils étaient en bronze manganèse, et j’étais surpris de voir qu’avec un burin de ce type on pouvait découper de l’acier !


J’ai bien connu Yvon GOUGE, et je m’en souviens très bien : personnage discret toujours le sourire aux lèvres, il était canonnier, je crois, mais surtout plongeur démineur. C’est lui qui m’a donné le virus de la plongée, et j’avoue que je pense souvent à lui lorsque je plonge ! Qu’est-il devenu ?

Je me souviens de LE ROUZIC (je ne sais plus si c’est en un seul mot ou en deux). Il était de Pouldrozic, a fait carrière, et c’est lui qui m’a fait connaître …Le pâté Hénaff : chaque fois que j’en consomme je pense à lui…A quoi sont liés les souvenirs !

Je pensais qu’on avait la télé à bord, et sur les photos, j’ai reconnu le petit poste radio « merdique », déception !

Je me rappelle de MASSON : L’homme qui vissait les écrous à la main, ce qui obligeait les mécanos à les dévisser avec une clé (c’est ce qui se disait), une force de la nature ! sympa.

Tu dis que les mécanos s’appelaient les bouchons gras, je croyais que c’était les chiffons gras, en es-tu sûr ?

BOULEMWO Samuel, appelé Max, Bosco d’origine congolaise, a, je crois, rejoint la marine de son pays lors de sa création. Qu’est-il devenu ? Lors de mon séjour en Côte d’Ivoire, j’ai fait diffuser des avis de recherche sur Africa n°1, et je n’ai jamais eu de résultat. C’était un très bon copain… Que j’amenais souvent à Arles, où j’habitais : J’avais une 4cv à l’époque, et après une 4L. Il nous apprenait le Madison lors de surprises-parties.


Papillon …je ne sais plus s’il s’appelait DESPREZ, commis ou cuistot, trop sympa. Très jeune il faisait l’objet de plaisanteries, car trop naïf, mais il a « grandi » très vite, et est devenu par sa gentillesse le copain de tout le monde. Fan de Trini Lopez, il nous chantait la Bamba. Je faisais un peu d’hypnotisme, et c’était mon « volontaire » préféré. Il était du Nord, j’aimerais savoir ce qu’il est devenu : Grâce à lui, Max et moi étions sûrs d’avoir à manger au retour de la salle de boxe.

Je t’ai mis quelques photos. Tu en fais ce que tu en veux. J’ai posé quelques légendes pour t’aider : Elles ne sont pas forcément justes et tu n’es pas obligé de les mettre. Tu as pour cela les photos sans légende. Les dates et l’ordre j’en suis sûr, car ce sont des diapos datées et numérotées…La fourchette que je donne, vient du fait que les dates que j’ai sont des dates de développement, donc à un ou deux mois près…

Je me souviens d’une traversée par un temps de chien, où le bateau arrivait à reculer pendant plusieurs heures : presque tout le monde était malade. Les matelots s’étaient attachés sur les bannettes avec deux ceintures bout à bout, passées dans les tubes, car, si tu te souviens, les hélices en sortant de l’eau créaient des chocs qui ressemblaient à une descente d’escalier « sur le cul », et on ne pouvait tenir couché.
Nous n’étions que trois ou quatre , à part le pacha et l'officier second, à faire fonctionner le bateau : un ou deux mécaniciens, et moi électricien, qui me partageais la barre avec un bosco (j’avais mis 3 ans avant de me guérir du mal de mer). J’adorais barrer. Je descendais de temps en temps au tableau électrique. Il fallait aussi nettoyer le vomi qui jonchait le poste… Le souk ! Nous nous faisions cuire directement les beefsteaks sur le piano de la cuisine en les maintenant avec une fourchette pour ne pas qu’ils se sauvent, l’autre main tenait les tubes à crochets (au plafond) qui équipaient la cuisine pour des hamacs éventuels : il fallait sauter à chaque coup de roulis, car les cuistots avaient « oublié » deux tonneaux de vin vides qui allaient de bâbord à tribord en manquant nous faucher à chaque fois ! Ca a duré deux jours et on avait dû faire une moyenne de 2 ou 3 nœuds. Ce n’était pas un bateau rapide, surtout dans le mauvais temps, et en plus on était obligé de ballaster les soutes au maximum avec de l’eau, pour pouvoir tenir la mer. Quand je pense que tout l’équipage s’était mis à l’eau à Mers-el Kébir pour nettoyer la coque avec des brosses et gagner une « poussière » de nœud !


La combinaison en amiante que nous enfilions, nous l’appelions l’Oscar : Nous savions qu’elle ne servait à rien, car si le feu s’était déclaré c’était l’explosion assurée. Pas le temps d’intervenir.

J’ai embarqué sur le Lac Tonlé Sap le 01/11/63 et débarqué le 01/02/65 à mon grand désespoir, car il me restait 8 mois à faire. J’ai embarqué sur le D’Estrées et là, cela n’a plus été le même folklore. Ce qui m’a fait d’autant plus regretter et aimer ce petit « rafiot » bien sympathique.

Je vais encore fouiller mes archives et souvenirs, et ne manquerai pas de te tenir au courant.

Très sincèrement.


Gérard ROLLE


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